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La grande corvée du décrochage scolaire

Un début d'espoir

Malgré les déceptions que suscitent les faibles résultats au Québec, Laurier Fortin perçoit une tendance encourageante qui l'incite à poursuivre ses recherches. «Des expériences commencent à porter fruit, les milieux se mobilisent, se réjouit-il. Mais on ne pourra en mesurer les effets à l'échelle du Québec que dans six ou sept ans.»

En Estrie, par exemple, la mobilisation de plusieurs décideurs a permis de faire chuter le taux de décrochage, l'un des plus élevés de la province. En cinq ans, il est passé de 34 à 27 %. C'est cette même volonté qui a mené à la création de la Chaire de recherche de la Commission scolaire de la Région-de-Sherbrooke sur la réussite et la persévérance des élèves, l'une des seules à être financée par une commission scolaire.

André Lamarche est directeur général adjoint de la Commission scolaire de la Région-de-Sherbrooke.
André Lamarche est directeur général adjoint de la Commission scolaire de la Région-de-Sherbrooke.

Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, le taux de décrochage se situait, il y a 10 ans, aux alentours de 21 %. La mobilisation de la communauté a fait chuter ce taux à 14,2 %, ce qui en fait actuellement le taux le plus bas de la province. Les écoles, les entreprises, les milieux communautaires, des quartiers complets se sont impliqués dans des projets pour motiver les jeunes à rester à l'école. Le modèle du Saguenay est, depuis, cité en exemple. «C'est vrai qu'on retrouve là une communauté tissée serré, souligne Laurier Fortin, mais cela ne veut pas dire que ce modèle peut s'exporter en ville, où on trouve des écoles dont la clientèle doit intégrer de nouveaux arrivants.» «Le Saguenay a pu compter sur l'aide des grosses entreprises de la région, qui ont exigé un secondaire cinq avant d'embaucher. Ce n'est pas le cas chez nous», affirme pour sa part André Lamarche, directeur adjoint de la Commission scolaire de la Région-de-Sherbrooke. Eric Ellysson, ingénieur et directeur chez Soucy International, un fournisseur de Bombardier dont le siège social est à Drummondville et qui possède notamment une usine en Suède et une en Chine, confirme les propos d'André Lamarche. Il engage à l'occasion des employés sans diplôme du secondaire. Mais il admet que les entreprises doivent se préoccuper de la question du décrochage scolaire, parce qu'elles se trouveront bientôt devant une pénurie de travailleurs qualifiés. «Nous sommes le plus gros employeur de la région de Drummondville. Nous avons une responsabilité sociale. Nous avons beaucoup d'entreprises en croissance, avec des besoins de main-d'œuvre importants. Nous sommes conscients d'encourager le décrochage. Cependant, nous savons aussi que nos employés des années à venir devront avoir été scolarisés plus longtemps et être capables d'effectuer des tâches plus complexes. Or, comment trouverons-nous ces gens si nous ne les encourageons pas à étudier dès maintenant?» demande-t-il.

Eric Ellyson est directeur d'usine, Soucy International, diplômé en génie mécanique en 1989.
Eric Ellyson est directeur d'usine, Soucy International, diplômé en génie mécanique en 1989.

Cet entrepreneur, diplômé en génie à l'UdeS, n'a pas hésité à s'impliquer dans le projet Soyez de la chaîne, auquel 200 entreprises de la région du Centre-du-Québec ont adhéré. «Il s'agit d'un engagement de notre part à favoriser les études auprès de nos employés», fait valoir Eric Ellyson. À Sherbrooke, ce projet existe sous une autre forme. Les employeurs sont invités à signer un contrat en vertu duquel ils s'engagent à n'embaucher que du personnel qui a obtenu un diplôme de cinquième secondaire. Une quinzaine d'entreprises ont jusqu'ici accepté de relever ce défi.

«L'implication des entreprises pour contrer le décrochage est souhaitable, mais elle reste limitée, juge Olivier Dezutter, professeur en pédagogie à l'UdeS. Il ne faut pas oublier que, historiquement, l'école de masse a été développée pour répondre aux besoins de l'industrialisation croissante. Si le milieu scolaire doit dialoguer avec les milieux d'affaires, il faut aussi se préoccuper des besoins de l'humain et contribuer au développement de compétences qui dépassent ce qui est attendu dans le monde du travail.» Ce professeur mène le combat contre le décrochage en supervisant des projets de lecture dans des écoles. Malgré sa situation au cœur d'un quartier défavorisé de Sherbrooke, l'école secondaire du Phare a réussi à diminuer son taux de décrochage en misant sur la lecture (lire l'encadré). «Tous les travaux qui ont été faits là-dessus montrent que, parmi les facteurs principaux de l'échec dans les matières de base, le français est un élément essentiel», avance Olivier Dezutter. Il ajoute : «Ces élèves-là, s'ils sont en échec en français, c'est peut-être parce qu'ils ont construit d'une façon pas très positive leur rapport à la langue.» Anne Lessard le confirme : «Nous pouvons repérer et accompagner plus rapidement, dès le primaire, les élèves qui ont de la difficulté en lecture; ce sont les plus vulnérables au décrochage.»